Pandémie mondiale de COVID19, attentats terroristes, grèves des transports, manifestations. Face à cette actualité dramatique quotidienne nous marquons une pause pour réfléchir à la place de la culture dans ces contextes de crises sociales et politiques.

Tolkien aurait-il écrit Le Seigneur des anneaux avec autant de profondeur s’il n’avait connu l’horreur des tranchées pendant la Première Guerre mondiale ? Pamela L. Travers aurait-elle imaginé l’incroyable histoire de Mary Poppins si elle n’avait connu la perte précoce de son père ? Nationale ou intime, la crise nourrit les imaginaires, transforment les attentes et colorent l’avenir avec plus ou moins d’optimisme. Mais pour la culture c’est un combat d’autant plus rude car à chaque tragédie elle est reléguée au placard : à l’heure des bouleversements politiques, il n’y a plus de place pour le badinage artistique. Et pourtant, insidieuse et maligne, vous allez voir que la culture finit toujours par réapparaitre sous de nouveaux visages.

Coupez les moteurs, fermez les théâtres : c’est la guerre !

Qui aurait envie de s’amuser pendant que les compatriotes meurent au front, que les médecins luttent pour sauver la population en péril, que la peur envahit chacun, chaque jour un peu plus ? Et pourtant les théâtres ont rouvert avant l’armistice de 1918 et les réalisateurs tournaient des chefs-d’œuvre alors que depuis le front les cris n’avaient pas cessés. Les tonnerres d’applaudissement répondaient au loin au tonnerre des balles.

Affiche de propagande américaine réalisée en 1943, pendant la Seconde Guerre mondiale, par J. Howard Miller pour Westinghouse Electric
Affiche de propagande américaine réalisée en 1943, pendant la Seconde Guerre mondiale, par J. Howard Miller pour Westinghouse Electric

Faut-il se sentir coupable ? Quelle que soit la crise, la culture n’a jamais complètement disparue de nos quotidiens. S’autocensurer au moment où la culture est déjà forcée de tourner au ralenti aurait un sens si cela accélérait la résolution des problèmes. Mais non !

Ainsi pendant la crise sanitaire de la covid-19, alors que « l’ennemi » prenait ses quartiers entre nos murs, il était naturel de cesser tout rassemblement. Noir à l’écran, désert sur les planches, partout les visiteurs ont trouvé portes closes. Mais malgré le désastre économique que cela représentait pour tous les lieux et les artistes, contraints de cesser toute activité, ces mesures de distanciation ont eu pour effet de réaffirmer le rôle, puissant et fondamental, qu’a la culture de nous rassembler pour vivre collectivement de nouvelles expériences. Tentez de confiner la culture, elle revient au galop !

Si tu ne viens pas à la culture, la culture viendra à toi !

La culture en temps de crise c’est un peu comme le phare dans la tempête, elle est toujours quelque part. Sur le front on écrit des chansons comme à Craonne sur le plateau où tant d’hommes ont laissé leur peau (chant de 1917). Pendant les grèves les caricatures fleurissent à la une des canards taillant des costards sur mesures à tous les politiques. Et quand la population se confine au printemps 2020 c’est un nouveau monde artistico-numérique qui se dessine en live sur nos écrans.

La Joconde masquée

Mais d’où vient ce besoin de se réfugier dans l’œuvre ou l’imaginaire alors même que le torchon brûle ? Pourquoi les exemplaires de Notre Dame de Paris de Victor Hugo se sont envolés après l’incendie de la cathédrale, tout comme La Peste de Camus pendant le confinement ? Peut-être parce que la culture demeure notre repère sur la carte brouillée de l’actualité.

La culture est ce vers quoi on se tourne pour se ressourcer et avaler un bon bol d’air. Pendant la crise elle réussit à nous rassembler et nous aide à nous retrouver nous-mêmes à l’heure où tout est éclaté. Il n’y a qu’à voir les multiples initiatives institutionnelles et personnelles qui ont inondé notre univers numérique pendant le confinement. Une incroyable effervescence qui laissait présager des bouleversements pour l’après crise.

La crise, une source d’inspiration pour inventer l’avenir

Visites virtuelles d’expositions et de musées, diffusion de spectacles en ligne, concerts en live par écrans interposés, qui avait une bonne connexion internet pendant le confinement a pu s’enivrer de culture jusqu’à en perdre la tête. Et le tout gratuitement : accessible à tous et en illimité, une parenthèse révolutionnaire !

Tout était bon pour garder le lien avec le public . Il fallait continuer d’exister en s’adaptant. C’est ce qui a été demandé aux artistes : se réinventer pour continuer d’offrir du spectacle.

Puis pendant les crises, il y a aussi les anonymes du quotidien qui s’inventent artistes. On écrit des livres, on jette ses émotions sur des toiles qu’on colore. On prend des photos pour immortaliser l’instant inédit. Pendant la crise, tout le monde peut prendre la parole, même s’il y en aura toujours qu’on entendra plus que d’autre.

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Au fond l’art n’est-il pas le meilleur moyen de raconter une crise en la sublimant ?

On ne compte plus les films sur la Première Guerre mondiale mettant en scène la bataille de Verdun, ni les romans sur les familles afghanes prises au cœur des conflits (comme ceux de Nadia Hashimi), ni les chansons au service de causes caritatives (We are the World, pour lutter contre la famine en Ethiopie). On les regarde seulement plus facilement qu’un documentaire. Il y a toujours un peu de fiction dans les images, un début et une fin et que ce n’est pas vraiment pour de vrai.

Les crises révèlent des talents et couvent en leur sein des chefs-d’œuvre. Elles sont des temps de revendication et de révolution, des appels d’ailleurs et de renouveau. Et quand une crise fait enfin partie de l’histoire ancienne, elle est déjà dans la culture de ceux qui l’ont vécue : un souvenir, un effroi, une inspiration pour l’avenir. Et vous, quelle est votre recette pour vous évader ?

Par Marie Duris,

Photo-vignette : Une œuvre de street-art de l’artiste Ardif, représentant une Marianne remerciant les soignants, le 15 mai 2020 à Paris.

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Sources

Chanson : La chanson de Craonne

Film : Dans l’ombre de Mary (Saving Mr. Banks) réalisé par John Lee Hancock

Roman : Nadia Hashimi Pourvu que la nuit s’achève et La coquille et la perle

Maddyness : Vers de nouvelles expériences culturelles à distance

Article UNESCO : La culture un besoin vital en temps de crise

Le Figaro : Coronavirus: les grandes salles de spectacle touchées par le plan de prévention

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