Dans le milieu culturel, nous savons que le retard est considérable : c’est un fait !
Des bâtiments culturels vétustes, non conformes aux normes énergétiques. Un conditionnement des œuvres inapproprié. Installation de murs temporaires dessinant un parcours scénographique par exemple et constitués de matériaux ni biodégradables ni recyclables. Ils pèsent lourdement sur le bilan carbone. L’écosystème de l’art et son transport n’est pas en phase avec la volonté internationale de réduire son impact écologique.
La question de l’environnement écologique devient une réelle préoccupation et un enjeu sociétal urgent. Quel constat pouvons-nous faire sur la question du transport de l’art aujourd’hui ?
Il n’existe pas encore d’étude précise quant à l’impact global du marché de l’art sur le réchauffement climatique. Pour l’évaluer, ce serait à des ingénieurs spécialisés de relever le défi ! Néanmoins et face à ce constat, certains artistes et institutions culturelles n’ont pas attendu ces analyses scientifiques pour agir et « se mettre au vert ».
Vous souvenez-vous de l’installation de l’œuvre d’art de l’artiste danois Olafur Eliasson, intitulée Ice Watch ?
Devant le Panthéon parisien, durant la COP21 de 2015. Il s’agissait de douze blocs de glace, d’un total de 80 tonnes, posés là. Afin de faire prendre conscience des désastres causés par le réchauffement climatique. Noble discours.
Mais l’était-il encore, lorsque nous avons appris que ces blocs avaient été débités, puis transportés par bateau et par camion réfrigéré, depuis un fjord du Groenland ?
De nombreux discours polémiques ont suivi sur l’emprunte carbone de cette installation. Laquelle a été réitérée à la COP24 de Londres.
On peut m’objecter, à juste titre, que le transport de la glace a un coût environnemental. J’ai estimé son empreinte carbone et je l’ai mise en balance avec la force du message. J’assume ma responsabilité. Je pense qu’éthiquement, l’importance du projet, son impact, seront bénéfiques au final pour la planète. […] Face à la glace, à sa beauté incroyable, à son âge –des centaines de milliers d’années, bien plus que l’âge de Paris-, les gens prendront conscience physiquement du réchauffement climatique. Ils pourront la toucher, l’écouter craquer.
Olafur Eliasson, artiste
Emilie Engbrik, membre du Studio Olafur Eliasson ajoute que :
L’empreinte carbone estimée de la présence d’un bloc de glace à Londres pour Ice Watch équivaut à peu près au déplacement d’une personne de Londres en Arctique aller-retour, afin de constater par elle-même les effets du changement climatique. Ainsi, l’empreinte carbone de l’installation de la Tate Modern équivaut à peu près au vol aller-retour d’une classe de 24 écoliers au Groenland pour observer la fonte de la calotte glaciaire. En comparaison, Ice Watch touchera un nombre beaucoup plus important de personnes grâce à l’installation sur site à Londres, sans parler des personnes qui la verront à travers les médias et sur Internet.
Ces données sont également mentionnées et même promues dans le dossier de l’organisation londonienne Julie’s Bicycle.
Les artistes contemporains souhaitent s’assujettir à une démarche éco-art respectant l’environnement et la planète.
Plusieurs réflexions ont été menées : en 2018, s’est déroulé un congrès au Centre Pompidou, sur la transition écologique dans la Culture, auquel participait la pionnière de la problématique, Alice Audouin, présidente fondatrice du groupe international d’artistes Art of Change 21. Ce groupe a pour vocation de mobiliser les artistes, les citoyens et les scientifiques autour des enjeux du changement climatique. Dans la même mouvance, l’association COAL Art & Culture, créée en 2008, accompagne les artistes vers l’émergence d’une nouvelle culture de l’écologie et conçoit des expositions et des évènementiels sur les enjeux de la transition écologique.
Des grandes institutions culturelles mondiales tentent de se pencher aussi sur la question, telle que l’ICOM, qui regroupent tous les professionnels des musées, et a lancé un groupe de travail dès 2015 sur la durabilité.
L’art contemporain devient donc écolo, mais la question du transport de l’art reste absente des discours
Au sujet des transports des œuvres, certains transporteurs affichent une qualité écologique de leurs activités, mais ils restent rares. Le Palais des Beaux-Arts de Lille demande systématiquement à son transporteur de faire des déplacements groupés avec d’autres établissements, afin de limiter les gaz à effet de serre.
Un guide sur l’écoresponsabilité adressé aux professionnels des musées, rédigé par la Société des musées québécois, indique quelques conseils de conditionnement des œuvres afin d’optimiser le transport et faire ainsi des économies financières et énergétiques.
Existe-t-il des solutions écologiques et financières limitant l’impact du transport de l’art ?
Quelques collectivités construisent des réserves mutualisées comme en région Rhône-Alpes. Ces réalisations architecturales répondent à de nombreuses problématiques de conservation, de restauration, d’optimisation des espaces de rangement, etc. Et le fait que des œuvres d’un territoire soient réunies dans un même lieu permet de mutualiser les allers-retours.
Une autre solution envisageable est l’utilisation de copies pour réaliser des expositions qui nécessitent l’emprunt d’œuvres provenant parfois de l’autre bout du monde
Le Musée de Van Gogh d’Amsterdam propose plusieurs reproductions de qualité remarquable, que peuvent acquérir les musées, afin de les stocker, évitant ainsi des frais de transports. Cette option permettrait également de répondre à une autre problématique : la conservation des œuvres. Car même avec le meilleur conditionnement – non écologique, rappelons-le – les transports fragilisent les œuvres d’art. La question a d’ailleurs été à nouveau soulevée lors de l’exposition Leonard de Vinci au Louvre.
Malgré la frilosité des musées de procéder à cette méthode, l’utilisation de copies n’est pourtant pas novatrice
L’éditeur espagnol Manuel Moleiro propose des quasi-originaux de livres anciens lors de grandes expositions, ou encore, les musées archéologiques sont en lien avec l’archéologie expérimentale afin de récréer des objets ou des mises en scène.
Les œuvres virtuelles sont également de plus en plus utilisées lors d’évènementiels
Rappelons-nous, en 2008 fut inauguré le musée virtuel d’Herculanum, à visiter sur site. Les nouvelles technologies permettent aussi d’immerger entièrement le spectateur dans les œuvres picturales comme le propose l’Atelier des Lumières à Paris.
Aujourd’hui, de plus en plus de musées deviennent virtuels et sont disponibles directement en ligne, comme par exemple le Conseil des Musées d’Aquitaine qui a lancé un musée 3D en 2018
Les visiteurs sont et seront toujours présents tant physiquement que virtuellement ! A la suite de l’épidémie du COVID 19. Ce que nous pouvons constater, est que la Culture, vecteur universel, devient plus qu’un besoin. Une nécessité de survie. Nous divertir, nous enrichir intellectuellement, ou encore découvrir des œuvres extraordinaires ou des lieux insolites, sur site ou depuis un écran et parfois même en 3D.
Et le transport de l’art demain ?
La pollution atmosphérique a diminuée durant les confinements. Profitons-en pour penser la Culture post-Covid19 et aux actions à mener pour une éco-Culture du XXIème siècle. Sans vouloir être pessimiste, d’une manière ou d’une autre, le transport de l’art pèsera toujours sur l’impact écologique. Aujourd’hui, on déplore l’utilisation des transports aériens, maritimes, terrestres. Mais demain, le constat se déplacera sur le « transport numérique » de l’Art. Oui… l’Art et la Culture à la portée d’un clic pèse aussi : chaque utilisateur utilise en moyenne 9.9 kg de CO2 par an, ce qui correspond à environ 2,6 recherches par jour.
C’est là tout l’art du paradoxe de notre société du XXIème siècle. En attendant, cultivez-vous en restant chez vous et en utilisant des moteurs de recherches dits « verts » où chaque clic vous permettra de participer à la plantation d’arbres !
Par Juliette Bouchot,
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Pour aller plus loin
http://www.afroa.fr/media/pdf/contributions/PBesse-developpement-durable-expositions-temporaires.pdf
https://www.marianne.net/culture/le-desastreux-bilan-carbone-de-l-art-contemporain