Quelle est la capacité du secteur culturel à se réinventer ? C’est la question que nous avons posé à Dominique Dupuis-Labbé, Conservateur Général honoraire du Patrimoine. Entretien.

Dominique Dupuis-Labbé est de ces personnes profondément optimistes, qui n’ont de cesse de trouver de la positivité, y compris là où au premier abord, il pourrait être difficile d’en trouver. Lorsque vous avez la chance de vous entretenir avec elle, vous êtes immédiatement saisi par sa passion communicative pour l’histoire de l’art et son sens de la transmission. Conservateur du Musée de l’Orangerie qui conserve la collection Walter-Guillaume, puis du Musée Picasso, elle occupa durant dix ans le poste de responsable du bureau des acquisitions, de la restauration et de la recherche au sein du Ministère de la Culture. Titulaire durant douze ans de la chaire d’histoire de l’art du XXe siècle à l’école du Louvre, elle est considérée comme l’une des spécialistes de la discipline. Aujourd’hui, elle nous transmet des pistes de réflexion intéressantes sur la capacité qu’ont les musées à se réinventer.

« Non essentiel », et pourtant !…

« Le secteur culturel a été déclaré « non essentiel » mais les musées ne s’attendaient certainement pas à cela puisqu’ils étaient encore portés par la loi de 2016, relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, dite LCAP. Le premier confinement a eu comme effet de les couper net dans leurs trois fonctions essentielles : collecter, conserver, exposer ! Le deuxième confinement a quant à lui mis en évidence un paradoxe certain : les musées étaient fermés quand les galeries d’art, elles, restaient ouvertes et étaient prises d’assaut ! Cela signifie que le public est présent. Coupé du temps de pause, de contemplation et de partage qu’offrent les musées, il a comblé le vide en découvrant d’autres espaces d’expositions. Les musées doivent donc réagir en élargissant non pas leurs missions, mais leur public. Se réinventer oui, dans la mesure des publics, c’est certain. »

La culture, facteur de cohésion sociale

« Derrière toutes les façades des bâtiments culturels, il y a de véritables passionnés, des hommes et des femmes qui veulent faire quelque chose au profit des autres ! Les musées doivent aller à la rencontre de leur public. Et plus seulement international, puisque cela a ses limites, on l’a vu lors des attentats de 2015 et depuis un an avec la pandémie. Pour exemple, les Beffrois de la culture, qui en 2004, permirent à douze villes du Nord de la France d’accueillir chacune durant un mois dans leur hôtel de ville respectif, une exposition gratuite. Les publics éloignés des musées ont ainsi pu découvrir de grands chefs-d’œuvre, exceptionnellement venus jusqu’à eux. Un succès indéniable comme en témoigne l’exposition autour de Jean Tinguely dans la ville de Denain qui a attiré plus de 10 000 personnes en trois semaines seulement ! Aujourd’hui, c’est Laurence des Cars, présidente du Musée d’Orsay qui grâce à l’opération  Orsay grand ouvert  veut moderniser la transmission du patrimoine passé et donc la médiation. Selon elle, la question pour les musées est de prouver aux nouvelles générations qu’ils sont des lieux de cohésion sociale. »

L’audience des musées élargie

« Personnellement, je trouve que les musées ont déjà su se renouveler à plusieurs reprises. J’ai en tête notamment le Centre Pompidou Mobile qui entre 2011 et 2013 présentait en accès gratuit, sous des toiles de tente design, une quinzaine de chefs-d’œuvre de l’art moderne et contemporain dans des villes moyennes. Aujourd’hui encore, ils ont en eux les capacités à le faire. La Chambre des visiteurs lancée en 2016 par Sylvain Amic, Directeur de la Réunion des Musées Métropolitains de Rouen-Normandie est un programme qui permet au public de choisir des œuvres issues des réserves. Une initiative qui remporte désormais chaque année un très beau succès auprès du public et qui illustre la volonté d’élargir l’audience des musées et de les repositionner de plain-pied parmi les pratiques contemporaines. Une autre belle action récente vient du Louvre Lens qui dans le cadre de la Nuit des musées « confinée » a proposé des Ateliers à emporter. Des kits-ateliers gratuits destinés aux enfants de 3 à 12 ans afin d’exprimer en famille ou en solo, leur créativité artistique. Là encore un succès ! »

Des musées « ouverts »

« Le mécénat a joué un grand rôle depuis vingt ans. Et dans cette relation, c’est donnant-donnant. Opération de prestige pour les uns, il permet aux musées non seulement de monter des expositions d’envergure mais aussi de rénover des salles permanentes. En France, l’indépendance publique doit être conservée. Donc dans les faits, jamais, contrairement aux Etats-Unis, une salle n’est rebaptisée au nom d’un mécène. Cela n’est faisable que dans le cas d’un acte de donation. Un autre domaine permet aux musées de « s’ouvrir », le partenariat intellectuel. En 2015 par exemple, à partir du livre Une brève histoire de l’avenir de Jacques Attali, le musée du Louvre a proposé une exposition ambitieuse autour du thème, faisant dialoguer des chefs d’œuvres du passé avec des créations contemporaines. Au Palais de Tokyo c’est une exposition « de » et non « sur » Michel Houellebecq qui a trouvé son public il y a quelques années. Lorsque j’étais au Musée Picasso, j’ai toujours rêvé de faire venir Fabrice Luchini pour une lecture d’une pièce de théâtre écrite par Picasso lui-même ! »

Un optimisme de rigueur

« Les musées ont un véritable avenir ! Selon une récente enquête, on constate que le web n’empêche pas les visites au musée, ce qui ouvre un certain nombre de perspectives intéressantes. Les professionnels des musées se spécialisent de plus en plus et dans les faits, de nouvelles professions voient le jour. Nous observons également une prise de conscience des élus dans le recrutement du personnel de leurs musées et le financement des subventions. La culture enrichit et si chacun pouvait entrer dans un musée, cela apaiserait les tensions sociales. Pour moi, La Piscine, le Musée d’art et d’industrie de Roubaix, est un exemple. Beaucoup d’emplois aidés font partie du personnel du musée et son conservateur, Bruno Gaudichon, a parfaitement su les sensibiliser à « leur » environnement de travail. Quand on a une équipe corporate, cela se ressent au niveau du public et tout le monde y trouve son compte. Avec des expos exigeantes, il a également su capter le public local. Il a tout compris ! »

Par Céline Chaudagne,

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